Comme quelques mots
Comme quelques mots, juste quelques mots, peuvent ramener à la surface tant de sentiments que le corps avait oublié. Cette douleur que je pensait avoir désapprise, laissée sur le bord de l'une de mes routes aux souvenirs.
Il y a quelques jours je disais à Ma. mon avis sur le pouvoir infini qu'ont les mots de vous déchirer, de vous réparer, de vous retourner dans tous les sens, de vous apaiser. Ce pouvoir qu'ont les mots de capturer des fragments de cette vie folle belle indicible, des fragments tranchants, fondants, des fragments de vie coulant comme du miel sur la peau, ou des fragments qui vous poignardent jusqu'au fin fond.
Et voilà qu'à la table d'un restaurant aux couleurs branchées flashées et à l'ambiance tamisée, devant une bougie éteinte, quelques mots ramènent comme une marée la mousse onctueuse de certaines souvenirs salés sur les lèvres et puis aussi les cadavres de sentiments avalés, non-dits, dégoûtés.
Quelques mots et puis maintenant il faudra guérir à nouveau, passe-t-on donc toute une vie à guérir de maux trop jeunes pour comprendre ce qu'ils faisaient? Trop têtus pour l'admettre.
Pour guérir il y a la couleur d'un pamplemousse coupé en deux peu après huit heures du matin, l'odeur du café moulu, il y a les conversations dans la cuisine comme à mi-voix, il y a les paysages visités, décousus, recomposés à travers l'objectif et les teintes inventées, il y a le brouillard du matin, il y a la perspective des rails qui me mèneront jusqu'au lieu de mes vingt ans. Pour guérir il y aura peut-être les allées désertées du Luxembourg un matin de semaine, les rayons infinis d'une librairie, les larges boulevards, le thé derrière l'une des innombrables fenêtres un peu embuées ou simplement illuminées du crépuscule de l'automne, il y aura la voix de C. aux accords de jazz, il y aura les retrouvailles et les infinies conversations à nouveau.
Pour guérir surtout, à chaque instant, y a le présent et sa splendeur imperceptible. Sa beauté impalpable, son pouvoir indicible que d'être vécu inventé à chaque seconde, bien au-delà de tout ce que les mots peuvent déchirer ou reconstruire, au coeur même, de la vie jamais évanouie.
Par aubes, le Mercredi 11 Novembre 2015, 11:30.