Pleinement

Pourquoi je n'écris plus? Cette ville m'avale. Je crois. J'oublie de m'émerveiller, je cours. Je perds des fragments de lumière en route, aspirée dans la nuit de la ville, noyée dans l'océan des fenêtres allumées éteintes allumées éteintes au rythme fou des heures. Mes membres semblent s'anesthésier et ma tête aussi. Je traverse les jours et chacun d'entre eux semble arracher à mes prunelles une couleur de plus. Je continue de créer, par poussières, mais ce n'est plus pareil, c'est affreux à dire mais pour la première fois je commence à me sentir plus âgée. Je refuse, je refuse, ce n'est pas moi. Moi c'est la lumière du matin translucide derrière les rideaux, le calme de l'aube, l'odeur du pain cuisant dans le four, une chemise enfilée le coeur battant et un nuage d'eau aux pétales de cerisiers. C'est le pas léger, la joie au fond des veines, la douceur d'une rencontre inattendue, des confidences d'amitié, d'une carte postale reçue un jour de pluie. Le vert des plantes à travers la pièce, la vapeur d'un thé en train d'infuser, un pendentif original, la peau des mains douce, des lignes et des lignes et des lignes, et des photos prises un peu comme ça, sans y penser. Les bonhommes en pâte fait maison, la lueur des bougies, le rire facile. Je voudrais être encore tout ça, et le partager sans cesse et sans cesse, partir à l'aventure. Ici, j'ai oublié avec qui partager tout cela. Je le vis parfois, mais tout le monde semble courir, tout le monde semble occupé et je n'ai pas l'énergie. Je crois que la plaie de M. s'est refermée. Parfois j'y pense, parfois je voudrais que nous existions encore, ensemble, parfois je me dis que c'est très bien comme ça, et je me demande ce qu'il adviendra. Cesser de vivre sans cesse avec des buts en tête, cesser de vivre pour le lendemain. Respirer à nouveau le présent, pleinement, pleinement. 

Par aubes, le Samedi 6 Décembre 2014, 22:16.

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